mon CV

L’autre jour on m’a demandé
Un curriculum vitae
J’ai obtempéré
J’ai écrit, à la main :
J’ai été à l’école au bout du chemin
Et depuis, je peins.
Je me suis reculée
J’ai regardé mon papier
C’était parfait !
Mais on m’a dit :
Ah mais non,
C’est pas bon
C’est pas assez
On veut savoir, où tu as exposé
Si ce tableau-ci
A été en galerie !
J’ai réfléchi
Je n’ai jamais bien su
Ni pu
Et maintenant, je ne veux plus.
Mes tableaux circulent
Point virgule
Un peu partout
Un point c’est tout.
J’ai mon atelier
34 rue Camille Sauvageau,
En France, à Bordeaux,
Où tout est exposé
Et que vous pouvez visiter.
Je suis allée à l’école
(J’essaye de tout oublier)
Et depuis, je peins.
Ce n’est peut-être pas très malin
Mais venez voir, venez regarder :
C’est mon seul curriculum vitae !

ARPEL, Lettres d’Aquitaine

Entretien avec Chantal Quillec
Propos recueillis par Dominique Rateau

Chantal Quillec est artiste peintre. Née en Normandie, elle s’installe à Bordeaux à l’âge de vingt-sept ans pour entrer à l’école des beaux-arts. Chantal Quillec assume pleinement sa position de peintre et elle publie aussi des livres. Ses livres. Des livres numérotés, édités de façon artisanale sous le nom des éditions Moiki. Nous avons rencontré Chantal Quillec dans son atelier.

Dominique Rateau : Chantal Quillec, vous êtes peintre. Vous peignez à l’huile, sur papier et vous revendiquez votre amour de la peinture. Comment sont arrivés les livres dans votre travail d’artiste ?

Chantal Quillec : J’ai d’abord répondu à une demande de Carole Lataste des éditions N’a qu’1 œil. Installée rue Bouquière à Bordeaux, Carole Lataste voulait faire une expo de livres d’artistes dans sa librairie-galerie. Elle m’a demandé d’y participer. Ce devait être le bon moment. J’ai accepté, et c’est comme ça que j’ai fait Les Passants, mon premier livre.

D.R. : Le récit était déjà très présent dans vos peintures.

C.Q. : Oui, Emmanuel (1) avait tout de suite perçu cette présence de la narration dans mes peintures. L’écriture était là, en sourdine. La laisser émerger m’a donné un grand vent de liberté. Les textes sont venus. Et je suis allée piocher dans mes peintures pour illustrer mes textes. Je trouve une vraie complémentarité dans ces différents modes d’expression : écriture, peinture. Ce dialogue fonctionne à merveille. De mieux en mieux.

D.R. : Combien de livres au catalogue des éditions Moiki à ce jour ?

C.Q. : Il y en a 8. Les Passants, Le Voyage en Normandie, Les Parents et leurs enfants, Les Passants de Québec, L’Insomnie, Son Sûtra, mon karma, Intimité publique et le dernier Ah ! je ris.

D.R. : Ah ! je ris semble un peu différent des autres ?

C.Q. : C’est vrai, il n’a pas la même histoire, puisque j’ai conçu, cette fois, les illustrations en même temps que le texte. Je l’ai écrit en réaction à un énième message publicitaire de nécessaire jeunesse, de combat impératif contre les rides... Ça m’a permis aussi de reprendre des thèmes récurrents dans mon travail, à savoir la mémoire et les traces du temps qui passe. Le texte est plus long, aussi. Disons que le sujet m’a inspirée.

D.R. : D’où vient votre lien à la peinture ?

C.Q. : La peinture n’a pas toujours fait partie de ma vie. Mais j’ai toujours bricolé. J’ai toujours été manuelle. Je ne viens pas d’un milieu intellectuel. Ni intellectuel, ni artistique. Je suis péniblement parvenue jusqu’à la moitié de ma terminale grâce au dessin et au français. J’ai quitté le lycée à dix-huit ans pour le monde du travail. Dix ans plus tard, j’ai repris mes études en rentrant à l’école des beaux-arts de Bordeaux. Et là, très rapidement, mon histoire avec la peinture a commencé et ne m’a plus lâchée...

D.R. : Les silhouettes, les "passants" ont une grande place dans votre travail de peintre.

C.Q. : J’ai toujours observé les autres. J’étais timide. Introvertie. Je passais beaucoup de temps à regarder les autres. Tout cela a été long à mettre en place. Mon apprentissage a été lent, et j’avais le sentiment de devoir rattraper un retard. J’ai travaillé l’abstraction, la figuration, le fond, la forme, la matière avec beaucoup d’enthousiasme et de doutes. Les personnages sont venus petit à petit, d’abord comme des ombres. Puis de façon de plus en plus narrative.

D.R. : Quelle votre technique ?

C.Q. : Je peins uniquement à l’huile et sur papier. Il y a une notion de plaisir dans la fabrication de la peinture à l’huile. Un côté manuel que j’aime beaucoup. Je travaille sur tous les formats. Des tout-petits aux grands. Voire très grands ! Et aussi toutes les formes : rond, carré, rectangle... Je n’ai envie de m’installer ni dans un format, ni dans une routine.

D.R. : Comment vous est venue l’idée de peindre des silhouettes sur les papiers d’emballage des sucres servis dans les bars ?

C.Q. : C’était pour m’amuser. J’aime faire des choses à partir de trois fois rien. On peut tout transformer. Cela a été un grand déclencheur. Un très bon exercice. Je n’ai pas de carnets et je ne dessine pratiquement plus. Je fais tout directement avec la peinture. Mes peintures sur papiers de sucre me tiennent un peu lieu de croquis, d’exercices...

D.R. : Vous ouvrez votre atelier au public le deuxième week-end de chaque mois. Pourquoi ?

C.Q. : Les gens passaient. Je les voyais à travers la vitrine de mon atelier. J’aime bien cette idée de parler des autres, de soi à travers les passants. Ça me va bien. C’est une espèce de dialogue. Du regard, d’abord extérieur, on arrive peu à peu au face-à-face. Le fait d’écrire a renforcé ce désir de conversation. Depuis un an, j’ai des visites régulières. Les six premiers mois, j’ouvrais tous les week-ends. Une fois par mois est un rythme qui me convient mieux. Cela me permet de rencontrer régulièrement un public. Faire des tableaux qui vont être vus, c’est très stimulant. Et j’ouvre aussi sur rendez-vous pour ceux qui le désirent.

D.R. : Revenons aux livres, à leur publication. Il me semble qu’ils marquent un tournant dans votre vie d’artiste ?

C.Q. : Dans ma vie d’artiste et dans ma vie tout court. Emmanuel m’a guidée dans la réalisation des livres, pour la maquette, la fabrication. Les livres n’ont pas la même vie que les tableaux. J’éprouve une grande jubilation intérieure à écrire en sachant que cela peut être partagé. J’ai trouvé mon écriture, mon style, mon rythme. J’ai eu besoin de tout ce temps.

D.R. : Comment imaginez-vous la suite de votre travail ?

C.Q. : La conception et la réalisation des petits livres prennent beaucoup de temps. Et il y a beaucoup de demande. C’est pour cela que j’ai cherché un éditeur. Par contre, pour la peinture, je reste seule et libre. J’aime montrer mes tableaux dans l’atelier. C’est comme une invitation. Je peux montrer le travail en cours. L’ensemble de ma production est visible. Certaines personnes sont étonnées de découvrir le processus de création. Ils mesurent quelque chose du cheminement. C’est très agréable. Je vis une période très riche où tout s’imbrique.

D.R. : Vous revendiquez votre position d’artiste peintre ?

C.Q. : Depuis les années 80-90, il y a un désamour de la peinture qui reste incompréhensible pour moi. J’éprouve un plaisir et un besoin de peindre. Pourquoi la peinture devrait-elle être mise en concurrence avec les nouveaux supports ? Il y a de la place pour tout le monde...

Chantal Quillec revendique et assume sa position d’artiste. Et nous la remercions de cela, elle et tous ceux qui comme elle nous donnent à voir, à travers leur œuvre, leur point de vue sur le monde et une certaine relation au temps et à la liberté.

1. Emmanuel Moynot est le compagnon de Chantal Quillec. Il est auteur et dessinateur de bande dessinée.

Chantal Quillec   artiste peintre - 37 rue Andronne 33800 Bordeaux - 06 31 85 32 91 - quillec.chantal@neuf.fr Haut de page